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Birdie Num Num !
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23 octobre 2009

Castes

Après un intermède sur les jeux du Commonwealth et Diwali, je me remets donc au travail… J'ai une promesse à tenir… le problème est que le système des castes – puisque tel est le sujet que vous avez choisi suite à mon petit sondage – n'est pas ce qu’il y a de plus simple !


L’Inde compte apparemment près de trois mille castes… dont la nature est étroitement liée à l’hindouisme, et dont les formes changent assez significativement selon les régions… Si l’on ajoute que les historiens considèrent que le "système des castes", s'il a toujours existé, n'a pas toujours représenté un "système" aux contours bien définis et que le terme d’"hindouisme" lui-même, s’il renvoie à des croyances vieilles de plusieurs millénaires, date apparemment de la fin du XIXème siècle, on n’est pas rendus…

Une chose est sûre, la question des castes est probablement une de celles qui restent les plus hermétiques aux étrangers : d’un côté, on a l’impression que les castes jouent un rôle primordial dans l’organisation sociale, sans être vraiment capable d’en évaluer l’ampleur (qui varie d’ailleurs forcément selon les régions, le degré d’urbanisation, etc.) ; de l’autre, on est complètement démuni quand il s’agit de l’intégrer à la vie de tous les jours.

Si les Indiens peuvent apparemment très souvent identifier la caste de leur interlocuteur sur la seule base de son nom, l’expatrié de base en est bien loin… et on a tout de même toujours quelques scrupules à demander aux gens quelle est leur caste… Les castes, c’est donc d’abord l’histoire d’une frustration…

 

La caste, c'est un groupe héréditaire, ségrégatif et endogame. On reste entre soi... Le contour des castes est étroitement lié à l'activité exercée, un peu comme nos corporations d'autrefois. Mais à la différence des corporations, on qualifie aussi les castes en fonction de considérations de pureté – et hygiénique et religieuse – et, d'une  certaine manière, de race.

Le système remonte à l'arrivée des Aryens dans le nord de l'Inde et a en partie été conçu pour éviter les mélanges entre les nouveaux arrivants à la peau claire et les populations déjà sur place, beaucoup plus foncées, comme dans le Sud de l'Inde aujourd'hui.

Du coup, la hiérarchie qui s’établit entre les castes est incomparablement plus forte – et violente – que ce qu’on a pu connaître à travers les corporations.

 

Les castes, en pratique, pour les Indiens, ce sont ces milliers de jati, à la fois professionnelles et régionales. Mais pour simplifier, on regroupe souvent cette multitude de castes en quatre grands groupes (varnas) que beaucoup connaissent déjà :

 

castes

Au sommet les Brahmanes (historiquement les prêtres), ensuite les Kshatriya (les guerriers), puis les Vaishya (les commerçants) et enfin les Shudra (les serviteurs). On dit que les premiers sont nés de la bouche de Brahmâ (le Dieu créateur de l'univers), les seconds de ses bras, les troisièmes de ses cuisses et les derniers de ses pieds. Ca pose pas mal la chose… Les trois premières castes constituent les nobles (ce sont des Aryens à l'origine), et les Shudra sont des sous-hommes à leur service (imaginez-vous, nés des PIEDS de Brahmâ !!!). De ce point de vue, les Shudra n'ont le droit d'écouter ni de réciter les textes sacrés de l'Hindouisme car ils pourraient souiller les mots. Dans les campagnes il y a encore quelques dizaines d'années, il leur en coûtait cher de désobéir à cette règle.

 

Mais ce n'est pas fini, il existe des catégories ENCORE plus inférieures, que Brahmâ n'a même pas pu engendrer tellement elles sont indignes et viles : elles sont hors du système des castes et rassemblent les intouchables (ou "dalits" comme ils préfèrent être appelés, pour "opprimés").

L'administration, elle, parle de "castes répertoriées".

Gandhi les appelait "les enfants de Dieu" mais les intéressés trouvaient ça un peu condescendant. Dans la mythologie hindoue on dit qu'ils sont issus de la copulation infâme entre un shudra et une brahmane. Ils sont rangés au niveau du chien et du porc.

 

Les intouchables sont tout ceux qui ne font pas partie des quatre principales varnas. Les étrangers ne sont donc pas très loin du compte, mais ils jouissent d'un certain pouvoir (économique) qui les rachète un minimum… Les intouchables sont balayeurs, blanchisseurs, croque-morts, tanneurs, cordonniers... Tous ceux qui touchent aux cadavres ou à la saleté. Ainsi leur impureté est permanente et de ce fait on ne doit pas les toucher ni toucher ce qu'ils ont touché, et ils vivent regroupés à l'écart des autres. Même leur ombre est polluante ! Il fut un temps où ils ne pouvaient sortir qu'à certaines heures de la journée, lorsque leur ombre était assez petite... Et se jeter à terre quand ils rencontraient un brahmane afin de ne pas risquer de le polluer avec son ombre. De même, ils devaient cracher dans un petit pot de terre accroché à leur cou, et pas par terre pour qu'on ne risque pas de marcher dedans.

 

Combien sont-il ? Tenez-vous bien : aujourd'hui 1 Indien sur 4 est intouchable, c'est-à-dire 1 homme sur 24 au niveau planétaire !!!

Depuis la proclamation de l'indépendance de l'Inde en 1947, le système des castes est censé être aboli. En théorie, tous les emplois sont accessibles aux intouchables, et le gouvernement met même en place un système de discrimination positive  (le plus vieux du monde, en fait), en leur réservant des places dans l'enseignement et des emplois dans la fonction publique – c'est grâce à cela qu'on connaît le nombre d'intouchables, les recensements actuels ne comptant plus les autres castes puisqu'elles ne sont pas censées compter... Mais en pratique l'intouchabilité de leurs ancêtres reste encore très souvent un lourd handicap dans la vie sociale. Il n'y a qu'à regarder dans la rue qui s'occupe des tâches les plus viles et dans les ministères ou les grandes entreprises qui occupe les plus nobles pour constater que la couleur de peau est toujours très bien corrélée à la position sociale…

 

Aujourd'hui encore, on apprend que certains brahmanes leaders du Congrès accompagnant Rahul Gandhi en campagne sont venus avec leur propre literie et leur nourriture afin de ne prendre aucun risque d'être souillé... Vive le progrès !

 

Il suffit aussi de regarder les annonces matrimoniales dans le journal. La caste y a encore toute son importance. C'est un critère de sélection explicite (avec la couleur de la peau, souvent mentionnée) ! Il faut dire que le mariage est un des moments de la vie où l'appartenance à une caste est le plus décisif (à la base, les castes sont des groupes endogames, comme je le disais au début). A Jaisalmer, notre guide (de 23 ans) nous avait raconté qu'à l'université de Jaipur, lorsqu'il faisait ses études, il était tombé amoureux d'une Brahmane (qui l'aimait aussi). Lui était de la caste des Kshatriya (les Rajputs, au Rajasthan). Ils savaient que leur amour était voué à l'échec et qu'il était impensable de se marier. Du coup ils sont repartis chacun de leur côté et il a épousé une jeune fille plus adaptée.

 

Comment se défaire de cette impureté quand on est intouchable ? Comme je l'ai dit, c'est impossible. Indélébile. Le seul espoir est de se réincarner après la mort en renaissant dans une autre caste. Super encourageant ! Et ceci se mérite en faisant de bonnes actions et en priant comme il faut toute sa vie. Si quelqu'un est pauvre, malade, estropié, c'est qu'il le mérite : il a été mauvais dans sa vie antérieure. Pas de pitié ! Pire que le racisme ordinaire, diront certains… plus pernicieux, en tout cas. Quoi qu’il en soit, la question revient régulièrement sur le tapis des grandes conférences internationales sur le racisme mais sans grand effet jusqu’ici.

 

Je recommande particulièrement la lecture de L'équilibre du monde (A fine balance in English) de Rohinton Mistry. Ce livre raconte (âmes sensibles s'abstenir), à l'époque où Indira Gandhi dirigeait l'Inde d'une main de fer (70's), l'épopée de tailleurs venus de la campagne et issus du milieu des intouchables. Le père s'est battu pour changer le destin de son fils en le formant non pas au ramassage des vaches mortes mais au métier de tailleur. Et il le paiera très cher car les hautes castes voient d'un très mauvais œil ceux qui essayent justement de rompre ce fameux "équilibre". Chacun reste à sa place, comme depuis la naissance de l'Hindouisme il y a plus de 2000 ans.

 *

 Vous étiez plusieurs à vouloir que je parle des femmes. Pour le prochain « gros » post, promis !

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Commentaires
A
Héréditaire, ségrégatif et endogame ? comme la caste Sarkozy... avec un feuilleton bien de chez nous (présidence de l'Epad). Merci pour ce bel éclairage
J
Vu le nombre d'intouchables, il ne faudrait pas qu'il y ait quelques Marat, Robespierre ou Danton en herbe dans le lot...<br /> <br /> Il n'y a jamais eu de révoltes violentes contre ce système dans l'histoire de l'Inde? <br /> <br /> Comment se passait les relations avec la communauté musulmane avant la partition de l'Inde? Ceux-ci devaient être considérés comme intouchables si j'ai bien compris ton post...
G
et l'école ne permet aucun changement donc ? aucune évolution ?<br /> merci vraiment très intéressant
M
Tu devais avoir les meilleures notes en rédaction/dissertation, toi, non? C'est clair et efficace! Un plaisir de te lire (dans tous les sujets...) Merci Ariane!
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